Historiquement, l’ornement a souvent été relégué au rang d’élément secondaire, simple parure venant habiller un ensemble plus vaste. Dépourvu d’histoire, hors narration, parfois même hors du temps, il se fait témoin discret de récits grandioses sans jamais occuper le premier plan. Dans la peinture de la Renaissance, par exemple, la nature n’est qu’accessoire : réduite à un rôle ornemental, elle se manifeste sous forme de jardins apprivoisés et artificiels, tandis que la véritable scène se déroule dans un cadre strictement humain.
Le travail d’Hendrik Elías González Nuñez s’emploie à renverser cette séparation entre «humain» et «naturel». Il imagine des univers où les frontières s’effacent, jusqu’à former une seule entité indivisible. Bourgeons, perles, coraux, oiseaux, chauves-souris et autres formes de vie se déploient sur les murs des lieux investis par l’artiste, les transformant en écosystèmes vivants. Dans Paysages Tissés, il compose ainsi un environnement aquatique mêlant vidéo, sculpture et son, pour recréer un monde en perpétuelle métamorphose.

© Julio Artist Run Space
La transformation est sa seule constante. Dans des installations telles que Pilotis ou Papel Cosido 23, des matériaux recyclés — bouteilles, cartons, chutes de papier — trouvent une nouvelle vie. Au-delà de l’engagement écologique et politique, cette réutilisation répond à un geste poétique : faire du rebut une matière prolifique. Même si ces «déchets» ne sont pas toujours visibles dans l’œuvre achevée, ils participent au processus créatif et s’y inscrivent en filigrane. Ce qui est souvent caché ou perçu comme honteux acquiert ainsi une nouvelle forme : l’erreur, ici, a sa place dans l’art.
Cette approche s’inscrit dans une logique décoloniale : il s’agit de revaloriser ce que l’on juge hors norme, et de rendre visible ce que l’histoire a voulu effacer. González Nuñez puise notamment dans les parures traditionnelles des peuples autochtones panaméens, en particulier celles des Guna, communauté amérindienne durement réprimée dans les années 1920. Les formes végétales qu’il coud dans des pièces comme Masque aux perles ou Parure incarnent à la fois le lien de ces peuples avec la nature et la relation intime que l’artiste entretient avec elle. Son travail autour de La Peregrina, perle trouvée dans le golfe du Panamá par un esclave, rappelle l’histoire violente d’un territoire pillé par les empires coloniaux.

Le choix du textile participe également à une remise en question des modèles machistes encore très présents en Amérique Latine. Coudre devient pour lui un acte de réappropriation : il s’en fait une seconde peau, une armure, et réhabilite des savoir-faire souvent marginalisés. Ses œuvres textiles sont des commentaires politiques autant que des objets sensibles.
Les gestes de l’artiste sont empreints de douceur. Pour lui, réparer est un processus lent, exigeant, mais le temps importe peu : il s’agit de recoudre une mémoire fracturée. Le textile lui permet de relier les fragments. Dans Fleur Rouge, perles, rebuts de tissu et broderies s’entrelacent, témoignant de sa capacité à hybrider les matériaux. La couture l’affranchit du cadre rigide de la peinture et lui offre un espace où il peut questionner pleinement l’identité panaméenne. Chaque assemblage devient alors une expérience, un pas vers la restauration des liens entre l’humain, la nature et les autres.
